Dans le quartier de Firminy-vert, une église en forme de pyramide tronquée marque l’entrée du dernier ensemble architectural conçu par Le Corbusier.

L’église Saint-Pierre de Firminy constitue le troisième édifice cultuel d’envergure imaginé par Le Corbusier après La Chapelle de Ronchamp et l’église du couvent de la Tourette.

De par sa pureté formelle, et même si la version réalisée diffère pour partie du projet originel entériné par l’architecte une année avant sa mort, en 1965, elle constitue l’une des dernières inspirations géniales de Le Corbusier.

Pour être tout à fait juste, il convient de sortir de l’ombre, José Oubrerie, architecte assistant de Le Corbusier, qui dû réinterpréter la création du maître et l’adapter à des contraintes techniques et financières, s’occupant de sa construction pendant plus de 30 ans, jusqu’à son terme, en 2006.

L’architecture de l’église Saint-Pierre de Firminy, en cheminements

Le chemin des formes

Croquis de José Oubrerie pour l'église de Firminy
Croquis de José Oubrerie, simplifiant le concept originel, façon origami.

Entre l’idée originale de Le Corbusier qui consistait à passer, pour simplifier, du rond au carré, et la réalisation de José Oubrerie, la forme de l’église, si elle semble avoir conservé une apparence assez proche, à pourtant changé fondamentalement de nature.

La transformation d’une forme arrondie en carré implique d’avoir une courbe ovoïdale continue d’une grande complexité à réaliser en architecture, surtout à l’époque où elle à été conçue, dans les années 1960.

Oubrerie a pris le parti de redessiner la coque avec des parties planes reliées par des courbes, créant ainsi une forme plus pyramidale qu’ovoïdale.

Le biseautage d’Oubrerie

Pour ce « projet d’une vie » en tant qu’architecte en chef, José Oubrerie a dû faire des choix par rapport au projet défini par Le Corbusier.
Cela s’est traduit, par exemple, comme d’augmenter la taille de la base carrée, de réduire la hauteur de l’église, ou encore de redéfinir l’angle du pan coupé du toit qui est passé de 46° à 34° !

Avec l’abandon du concept principal constitué par la forme ovoïdale, on peut dire que la « pyramide » de Firminy n’est pas tout à fait la création de Le Corbusier.

Tracé du biseau église Le Corbusier vs Oubrerie
Axonométrie comparative de la coque de Le Corbusier vs Oubrerie. Crédits : Luca Sampò

L’église Saint-Pierre de Firminy, version pyramidale

L’église est caractérisée par son cône tronqué, constitué par 4 pans de murs en béton de formes trapézoïdales, qui atteint 33 mètres de haut avec un soubassement carré de 25 mètres de côté.
Aiguës à la base, les arêtes se font de plus en plus arrondies à mesure que la « pyramide » s’élève.

Cette coque en béton assez unique a impliqué la création de plus d’une centaine de coffrages qui n’auront servi qu’une seule fois !
85 coffrages d’angle ont étés réalisés en bois, grâce à l’aide d’un logiciel 3D au début des années 2000, permettant de résoudre la complexité des parties courbes. Les coffrages pour les parties planes étant réalisés en métal.

Eglise Le Corbusier à Firminy photographiée par Thierry Allard

Les chemins de l’eau

Extrêmement visibles et soulignés par des encadrements en béton, les chemins des eaux constituent la trame décorative qui anime les façades et qui participe à rendre le bâtiment unique.

Le sommet biseauté de l’église Saint-Pierre de Firminy permet d’avoir qu’une grande goulotte verticale, visible sur la façade Sud, pour évacuer les eaux de pluie provenant du toit.

Sur les flancs de l’église, deux autres goulottes horizontales encadrées de béton sont placées à différentes hauteurs et recueillent toutes les eaux s’écoulant du cône, qui se répartissent dans deux bassins côté sud et côté nord.

Sur la façade Est, un auvent bombé répartit une partie des eaux de pluies, qui sont récupérées de chaque côté par la goulotte inférieure.

Les chemins de la lumière

Les canons

Canons de lumière sur le toit de l'église Saint-Pierre à Firminy

Les deux canons de lumière de section ronde et carrée placés sur le toit, ainsi que le clocher, ont été coulés au sol puis hissés et maintenus en place avant de se voir intégrer dans une dalle de béton de 36 cm d’épaisseur qui fait office de clef de voûte.

Canon de lumière rectangulaire sur l'église de Le Corbusier.

Sur le côté ouest, un troisième canon de lumière de forme rectangulaire est fixé en position presque horizontale, accompagné de fenestrons en verre teinté en partie basse et de grands vitrages qui s’étendent sur trois côtés du socle.

Les « trous de verre »

Perforations vitrées sur la façade Est de l'église Saint-Pierre

Sur la façade Est, une multitude de petites perforations vitrées permettent à la lumière du matin de traverser le cône.

Les meurtrières invisibles

Cachées en façade derrière les bandeaux en béton des goulottes d’évacuation des eaux, une ribambelle de petites « lucarnes de lumière » biseautées vers le bas encerclent la totalité de l’église.

Le chemin des hommes

Promenade architecturale extérieure de l'église Le Corbusier à Firminy

Comme souvent, Le Corbusier nous propose une promenade architecturale grâce à une rampe d’accès extérieure qui contourne la façade sud, en permettant d’admirer l’église entière avec sa partie basse, puis d’entrer directement dans la nef par une entrée principale placée sur la façade ouest.
Une autre entrée surmontée d’un auvent côté est, au niveau du socle, permet d’accéder à l’accueil des espaces d’expositions.

Le chemin religieux

Si l’église à été conçue à l’origine pour un évêché, celui-ci s’est très vite désengagé pour des raisons financières, avant le début de la construction.
Le financement assuré principalement par la collectivité de Saint-Etienne l’a fait plutôt devenir une église touristique à la gloire de Le Corbusier, même si il s’y déroule encore quelques messes à l’occasion.

L’intérieur de l’église Saint-Pierre, mise en lumière

Les deux premiers niveaux sous l’église sont largement ouverts à la lumière. On y trouve l’accueil, plusieurs salles d’exposition qui dépendent du musée d’art moderne de Saint-Etienne ainsi qu’une salle de conférence.

En dehors des concerts ou des messes, l’entrée (payante) dans l’église se fait le plus souvent par un escalier intérieur (qui devait être une rampe dans le projet initial de Le Corbusier).

Vue de la voute de l'église Le Corbusier

Cela donne au visiteur, si il lève la tête, un premier point de vue purement architectural de l’espace, sans les signes religieux, et laisse entrevoir une partie de la mise en lumière imaginée par l’architecte.

Les deux canons de lumière placés sur la dalle ovoïdale du toit, orientée plein sud, apportent la lumière zénithale une grand partie de la journée.

Le jeu de lumière et du hasard

À certains moment de la journée une multitude de faisceaux lumineux, dont on ne distingue pas la source, dessinent sur les murs un enchevêtrement de courbes que l’on pourrait croire d’origine divine.

Courbes de lumières à l'intérieur de l'église Saint-Pierre

L’explication du phénomène est plus prosaïque et ne trouve pas sa source dans le cerveau du génial architecte. Il est très simplement expliqué par le responsable du chantier :
« Normalement, il était prévu de mettre des canons de lumières en polyméthacrylates lisses, mais nous avons choisi des canons avec des petites encoches pour améliorer l’adhérence. On a fait ce choix par précaution. Ce sont ces petites encoches qui dessinent de grands cercles lumineux à l’intérieur de l’église. C’est spectaculaire. » 

Intérieur, côté soleil levant

Le matin, les perforations visibles sur la façade Est extérieure laissent transpercer le mur par des dizaines de petites lumières au dessus de l’autel.

Constellation d'Orion au dessus de l'autel

Si Le Corbusier avait envisagé ces petits trous lumineux dans son projet (plutôt avec des verres de couleur), il n’avait pas eu l’occasion d’en décider la disposition exacte de son vivant. C’est donc l’architecte José Oubrerie en accord avec son commanditaire, la métropole de Saint-Étienne, qui décidèrent de représenter la constellation d’Orion, une constellation qui a la particularité de ne pas avoir de référence religieuse et d’être visible dans les deux hémisphères terrestres.

L’encerclement des lucarnes

Les ouvertures cachées en façade dévoilent leurs bandeaux de couleurs sur le pourtour de la salle. Elles éclairent la plupart des accès, y compris le soir grâce à des éclairages placés à l’intérieur.

Canon de lumière rectangulaire dans l'église Le Corbusier

Intérieur, côté soleil couchant

Le canon de lumière vert-bleu du coté ouest est positionné presque horizontalement pour éclairer le maître-autel en toute fin de journée.

banc d'église designés par José Oubrerie
Les bancs de José Oubrerie s’inspirent de ceux conçus par Le Corbusier à La Chapelle de Ronchamp.

Les puits de lumière

Puits de lumières colorés dans l'église Saint-Pierre de Firminy-vert

L’église de Firminy réunit plusieurs variantes de puits de lumière, très prisés par Le Corbusier pour les lieux de culte, mais aussi dans ses maisons, comme à l’intérieur de la villa Savoye où dans la Maison La Roche.

Les canons, qui s’extraient de façon imposante à l’intérieur, comme à l’extérieur des façades, augmentent la source lumineuse en même temps qu’ils concentrent, en fonction de leur profondeur, le faisceau lumineux.

Dans certaines constructions, ils sont placés horizontalement et on peut même les parcourir à pied comme dans le musée enterré Lugdunum de Bernard Zehrfuss à Lyon.

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Acoust-hic !

L’acoustique de l’église produit une résonance de l’ordre de 11 secondes, rendant impossible les concerts de musique classique. Seules des créations contemporaines réalisées expressément pour ce lieu peuvent y être jouées.

40 ans de gestation à rebondissements

Le projet présenté par Le Corbusier en 1964, un an avant sa mort, va attendre près de 10 années avant de démarrer sous la direction de son assistant José Oubrerie, à cause du retrait de l’évêché, le commanditaire initial.

Le premier chantier de l’église Saint-Pierre est pris en charge par une association locale et démarre en 1973.
Suivent cinq années mouvementées avec plusieurs arrêts et reprises du chantier jusqu’en 1978.
En 1996, la construction murée et largement inachevée, qui ne présente que son socle, fait pourtant l’objet d’un classement au monuments historique afin de la protéger avec ses alentours.
C’est finalement 7 ans plus tard, en 2003, que la construction reprend, financée par la métropole de Saint-Étienne et sous le contrôle de la fondation Le Corbusier, avant d’être livrée en 2006.
L’église est inaugurée le 29 novembre 2006 et restera l’unique bâtiment estampillé Le Corbusier érigé au XXIe siècle.

Derniers plans de l'église validés par Le Corbusier
Plans de l’église Saint-Pierre d’après la dernière série de dessins de l’atelier Le Corbusier de décembre 1963. Crédits : Cl. L. Sampò.

Tout savoir sur l’originale ?

Une face verticale, une taille plus grande, une forme composée de surfaces hyperboloïdes, une rampe d’accès intérieure, … autant d’idées de Le Corbusier qui ont été abandonnées.

Et pour ce qui concerne les détails, l’architecte José Oubrerie déclara aussi, à l’occasion d’une interview, que les plans au centième laissé par l’atelier lui conférait une grande marge de manœuvre.

Pour tout savoir sur les différences entre le projet de Le Corbusier et la réalisation finale de José Oubrerie, je vous conseille cet article : quarante ans d’histoire entre idée et réalisation.

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