Construite à la fin des années 60 sous la direction d’Éric Boissonnas, géophysicien, et de l’architecte américain Marcel Breuer, la station de ski de Flaine en Haute-Savoie se révèle être un savant cocktail d’architecture brutaliste, de design et d’art à ciel ouvert unique dans les Alpes.
Histoire de falaises
L’arrivée à la station de ski Flaine, à 1600 mètres d’altitude, se fait par une unique route provenant de la vallée de l’Arve, en redescendant des 1843 mètres du col de Pierre Carrée, le plus haut col routier de Haute-Savoie.
Après une vue impressionnante sur l’amphithéâtre de montagnes qui entoure le site, on s’aperçoit que la station à été construite en partie le long de petites falaises.
L’un des premiers immeuble rencontré se trouve être l’ex hôtel « Le Flaine » prolongé du « Bételgeuse », iconique construction brutaliste en béton qui semble s’extraire de la roche au sommet d’une falaise.
Véritable emblème architectural de la station de ski de Flaine, le bâtiment est inscrit au monument historiques français depuis 1991.
Une ville à la montagne
Le développement du ski pendant les « trente glorieuses », les 3 décennies suivant la deuxième guerre mondiale, s’est accompagné de la création dans les Alpes Françaises de stations ex nihilo comme Courchevel 1850, Avoriaz, les Arcs ou encore cette station de Flaine.
Dès le départ, Flaine est conçue comme une ville d’avant garde avec tout un système de galeries souterraines intégrant toutes les infrastructures possibles : chauffage collectif, réseaux d’alimentation et d’évacuation, réseaux électriques et même audiovisuels, une véritable innovation pour l’époque.
Tout est prévu pour éviter d’avoir à creuser des tranchées à partir de l’extérieur pour les travaux et réparations futures.
Les voitures étant mises de coté dans des parkings sous terrains ou derrière les immeubles, Flaine est conçue pour être en majeure partie piétonnière.
Avec le temps, le béton vieillissant de cette architecture un peu austère qui s’éloignait volontairement des codes de l’architecture traditionnelle de montagne, s’intègre de plus en plus dans son milieu naturel.
Marcel Breuer, un architecte au sommet
Flaine fait partie des projets de stations de ski les plus ambitieux dans le monde à son époque, de par le choix de Marcel Breuer, un ancien membre du Bauhaus qui à contribué au courant du modernisme.
Les années 60 correspondent au pic de la carrière de l’architecte : il vient juste de co-réaliser la Maison de l’UNESCO à Paris en 1958 et s’apprête à réaliser entre 1964 et 1966 le Whitney Museum of American Art à New York.
La Flaine éternelle, de New-York
Éric Boissonnas, le principal responsable du projet de Flaine, est voisin de Marcel Breuer à New-Canaan, une petite ville située à quelques encablures de New-York.
Il va soumettre à l’architecte des photos et des relevés du site pour qu’il puisse créer à partir de son cabinet New-Yorkais un pré-projet de la station de ski.
Il s’attèle à dessiner le premier plan masse vers 1960 puis tous les éléments de sa ville, des immeubles aux lampadaires, de la chapelle œcuménique aux pylônes du téléphérique…
Adepte affirmé du béton Marcel Breuer compose pour la station de Flaine toutes les façades des immeubles avec des panneaux de béton préfabriqués.
Marcel Breuer fait partie d’architectes brutalistes connus pour certaines de leurs constructions réalisées en France que je répertorie au fil du temps dans ce blog, comme par exemple, Le Corbusier pour toute son œuvre française, Gérard Granval pour les Choux de Créteil, Jacques Kalisz pour le Centre National de la Danse, ou encore d’autres architectes à découvrir dans la section Brutalisme de ce site.
Ombres et lumières
Marcel Breuer adopte, selon ses termes, « l’application d’un principe d’ombre et de lumière » dans la réalisation des constructions de Flaine.
Le choix de préfabrication des plaques des façades relevant du procédé « Barets », du nom de son inventeur Jean Barets, permet de créer un relief plus ou moins important lors du moulage, pouvant aller jusqu’à 50 cm de profondeur.
L’architecte joue avec le relief : des balcons en saillies font face à des façades alternant plaques de béton lisses et en creux.
Breuer de pierre
Pour certaines façades d’immeubles orientées au sud, Marcel Breuer fait construire des panneaux de bétons avec un motif en forme de diamant pour créer des jeux de lumières tout au long de la journée.
Avec ce procédé, il souhaite créer des « brisures » dans ses constructions pour qu’elles s’intègrent du mieux possible dans l’environnement rocheux du site.
Dans le même but, l’architecte utilise aussi de la pierre locale sur le premier niveau de la plupart des constructions.
Montagne Art
Street sculptures
L’originalité de la station de Flaine, outre son architecture ambitieuse, provient aussi du fait qu’elle a été conçue comme une véritable galerie d’art à ciel ouvert dans laquelle on rencontre quelques sculptures géantes.
Sylvie Boissonnas, riche héritière de l’empire pétrolier Schlumberger et passionnée d’art moderne, à apporté sa contribution artistique en « décorant » les espaces de circulation piétonnière de la station avec des artistes contemporains très connus comme Picasso, Vasarely ou encore Jean Dubuffet.
Elle s’investit aussi dans la décoration intérieure des hôtels et crée le Centre d’Art de Flaine dans lequel elle organise de nombreuses expositions d’art jusque dans les années 1970.
Design d’altitude
Le pylône dipyramidal
Une forme assez inhabituelle pour ce pylône de remontée mécanique, véritable équilibriste vraisemblablement désigné par Marcel Breuer (non sourcé).
Un refuge dodécaèdral
La station de ski réserve parfois quelques surprises comme cette rencontre avec « Le refuge Tonneau » de Charlotte Perriand, architecte et designer française qui a longtemps travaillé avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret.
Préfabriqué en usine et facilement transportable à dos d’homme, ce concept de refuge montagnard est recouvert de panneaux d’aluminium. Sa forme permet d’abriter 8 places de couchages sur deux niveaux et le rend peu sensible aux conditions météorologiques de la montagne, résistant au vent et faisant fondre la neige autour de lui grâce à la réflexion de ses panneaux métalliques.
A l’origine de la station de Flaine
Les découvreurs
A quelques encablures du Mont-blanc, l’architecte suisse Gérard Chervaz, ancien élève de Jean Dubuisson à l’Ecole nationale des beaux-arts de Paris, et son ami René Martens, découvrent à l’orée des années 60 l’alpage du Flainoz.
Il s’agit d’un haut plateau alpin situé au milieu d’un cirque naturel de montagnes rocheuses auquel ils accèdent l’hiver en ski de randonnée à l’occasion de sorties organisées par la Fédération Montagnarde Genevoise.
Séduits par la magie du lieu, ils imaginent y créer une station de ski.
Le projet étant d’envergure, ils partent à la recherche de financements et rencontrent les frères Boissonnas.
Le premier de cordée
Éric Boissonnas, géophysicien, s’entoure de sa femme Sylvie, mécène d’art, de son frère Rémi ainsi que d’un collège d’architectes composé de Gérard Chervaz, Laurent Chappis, Denys Pradelle et André Gaillard, et se lance dans ce grand projet d’urbanisme et d’architecture moderne.
Il fait appel au BERU (Bureau d’études et de réalisations urbaines) fondé par Max Stern, un ancien résistant, pour faire réaliser une étude de faisabilité du projet qui se révèle concluante pour ce qui concerne l’enneigement et l’adéquation du site pour la construction d’une nouvelle station de ski.
Pendant plus de 10 ans, il va conduire le projet jusqu’à son terme, contre vents et avalanches administratives…
Dans les règles de l’Arve
Dès le début de la construction de la station, l’accès au chantier par l’unique chemin tortueux étant particulièrement difficile, une unité de préfabrication du béton est installée du côté de la vallée de l’Arve.
Un téléphérique d’occasion est acheté en suisse et implanté pour permettre de faire monter tous les panneaux préfabriqués directement sur le site.
Après plusieurs années de travaux, la station voit le jour en 1967.
Cet article est une version augmentée et « ressourcée » de l’un de mes anciens article de blog, suite à la lecture du livre « Flaine, la création » d’Éric Boissonnas aux éditions du Linteau.
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