La cité Frugès est un projet immobilier initié dans les années 1920 par l’industriel Bordelais Henry Frugès ayant pour but de créer une cité ouvrière à Pessac, dans la banlieue de Bordeaux.
Il fait appel à Le Corbusier qui vient accompagné de son cousin architecte Pierre Jeanneret pour concevoir un lotissement futuriste en pleine campagne.
L’idée est de pouvoir proposer à des ouvriers d’industries environnantes des logements accessibles à la propriété dotés d’éléments de confort qui ne sont pas habituellement destinés à cette classe sociale, à l’époque.
Les maisons prévues à l’origine de couleur blanche vont finalement être mises en couleur par Le Corbusier et Henry Frugès pour créer une polychromie de façades. La cité dans son ensemble, ainsi que la conception de l’intérieur des maisons, font partie d’une véritable œuvre artistique globale.
L’architecture modulaire innovante de la Cité Frugès
Les années 1920 sont les années pendant lesquelles Le Corbusier à mis en pratique les cinq points de l’architecture nouvelle comme je l’ai évoqué précédemment pour la villa Savoye réalisée en 1929.
Dès 1914, Le Corbusier avait mis au point le concept de maison DOM-INO comportant une ossature standard élaborée en usine qui pourrait être assemblée ensuite sur chantier.
Pour la Cité Frugès, Le Corbusier cherche toujours à optimiser la réalisation complète des maisons et il applique à tous les niveaux de la construction des principes de la taylorisation.
Pour réduire les coûts il conçoit toutes les maisons du lotissement de la Cité Frugès à partir d’éléments préfabriqués constitués de plusieurs modules constructifs :
- Un module carré de 5 × 5 mètres
- Un demi-module de 5 × 2,5 mètres
- Un quart de module de 2,5 × 2,5 mètres.
Il assemble enfin ces modules de différentes façons, comme dans un jeu de Lego, pour créer des maisons de tailles et d’apparences différentes.
Malgré la standardisation des procédés de fabrication, il parvient à créer jusqu’à 7 types de maisons :
- Les maisons « Gratte-ciel » sont les plus hautes constructions. Elles sont constitués de deux maisons de deux étages avec garage, accolées dos à dos et surmontées d’un toit-terrasse accessible par un escalier extérieur.
- Les maisons « Zig-zag » constituées d’un étage sont assemblées par 3 (à l’exception d’une version isolée) et ont une cour couverte et un jardin suspendu.
- Les « Arcades » sont des maisons d’un étage reliées entre elles par une arche surplombant une petite cour couverte.
- Les maisons « Quinconces » constituées d’un étage sont regroupées par six ou cinq. Elles sont assemblées par leur plus grand coté et possèdent une cour couverte et un jardin suspendu.
- Les maisons « Jumelles » sont deux maisons d’un étage en vis-à-vis (qui se tournent le dos) avec terrasse et jardin suspendu. Elles comportent soit un garage, soit une cour couverte.
- La maison « Vrinat » est une maison isolée d’un étage avec un toit-terrasse.
- Une grande maison « Isolée» plus ambitieuse à été construite dans le lotissement mais à été détruite pendant la guerre.
Les maisons Gratte-ciel
Les « Gratte-ciel » sont au nombre de huit pour un total de 16 maisons d’une surface habitable de 75m2 à laquelle s’ajoute un garage et une terrasse.
Une maison gratte-ciel du même type, au 18 rue Le Corbusier, à été classée Monuments Historiques en 2011.
Il s’agit de maisons doubles comportant deux modules habitables accolés dos à dos, de deux étages avec un toit terrasse en partie couvert et accessible par un escalier extérieur.
Le rez-de-chaussée comporte un « abri-tunnel » dans lequel se trouve l’entrée principale, un lavoir et une buanderie ainsi qu’un garage fermé.
Le premier étage est réservé à l’habitat de jour, les pièces de nuit, deux chambres et une salle de bain se trouvent au second étage.
Les maisons Zig-Zag
Les maisons « Zig-zag » sont composées de 2 lots de 3 maisons assemblées et d’une maison Zig-zag isolée pour un total de 7 maisons d’une d’une surface habitable de 75m2 avec une cour couverte et un jardin suspendu.
Cette maison Zig-zag photographiée au 27 rue Xavier Arnozan à été classée Monument Historique en 2013.
Elles comportent deux étages avec un rez-de-chaussée entièrement habitable dévolu aux fonctions de jour et de services. La façade comporte un espace ouvert abrité éclairé par un puits de lumière percé dans la terrasse.
Le premier étage est dévolu principalement aux pièces de nuit et comporte aussi une terrasse, protégée par une pergola, qui se superpose à l’espace ouvert du rez-de-chaussée.
La maison « Zig-zag » isolée, à l’entrée de la rue Le Corbusier.
Les maisons Arcade
Les maisons « Arcade », d’une surface habitable de 81m2, sont au nombre de sept et sont construites en enfilade et reliées entre elles par des arches en béton armé.
Cette maison Arcade restaurée au 3 rue des Arcades à été classée Monument Historique en 2013.
Le rez-de-chaussée est entièrement habitable et le dessous de l’arche dévolu aux fonctions de services, chais et buanderie, comporte aussi un espace « détente » avec un banc intégré dans une murette qui clos la terrasse couverte.
Le premier étage comporte l’espace nuit avec 3 chambres.
Les voûtes aux formes sculpturale permettent d’encadrer visuellement la forêt qui se trouve au-delà des limites du lotissement.
Les maisons Quinconce
Les maisons « Quinconce » sont composées en 2 lots de six maisons et un lot de 5 pour un total de 17 maisons d’une surface habitable de 75m2.
La maison Quinconce ci-dessus, photographiée au 32 rue Henry Frugès, à été classée Monument Historique en 2013.
Inspirées de la maison Dom-Ino, elles s’inversent comme dans un jeu de domino en alternant façades avant et arrières.
Ce sont les maisons les plus minimalistes de la Cité Frugès avec une toute petite terrasse et sans garage.
Grâce à leur mitoyenneté, ces maisons ayant moins de façade extérieure exposées devaient permettre des économies de chauffage par rapport aux autres maisons.
Les maisons Jumelles
Situées en vis-à-vis, les 2 maisons de type « Jumelle » ont 5 pièces chacune pour une surface de 100m2.
Elles possèdent une terrasse fermée sur trois côtés au premier étage.
La seconde maison Jumelle (non photographiée) à été classée Monument Historique en 2013.
Les maisons « isolées »
La maison isolée dite « Vrinat » est composée de 3 pièces et a une surface habitable de 73m2.
Cette maison Vrinat au 4 rue des Arcades à été classée Monument Historique en 2013.
Deux habitations de ce type étaient prévues dans la cité Frugès mais une seule fut construite et restaurée dans les années 90.
Elle porte le nom de l’ingénieur René Vrinat pour qui elle a été construite.
Cette maison est sur deux niveaux avec en plus un toit-terrasse et des escaliers extérieurs qui conduisent à tous les étages.
L’autre « maison isolée » construite était plus grande et composée de 5 pièces. Elle à été détruite lors d’un bombardement allié pendant la seconde guerre mondiale.
Une cité progressiste peu adaptée à la classe ouvrière
Le Corbusier crée un paradigme pour le monde ouvrier auquel il souhaite donner un cadre de vie similaire aux classes plus aisées.
Il conçoit donc ces maisons dans le but d’apporter du confort et un certain art de vivre à des ouvriers qui travaillent encore, à l’époque, 6 jours sur 7, et qui n’ont pas forcément le temps de profiter de toutes les subtilités imaginées par l’architecte.
Si l’intégration de salles d’eau et de toilettes, de lavoirs et de buanderies, de chauffage centralisé, ou encore de chambres séparées et fermées sont une révolution pour le monde ouvrier, d’autres idées de Le Corbusier s’avéreront inadaptées à l’usage des premiers habitants.
Parmi les idées « décalées » ou un peu trop avant-gardistes de l’architecte, on trouve l’intégration de garages dans ses maisons pour des habitants qui n’ont pas, à l’époque, les moyens d’acheter des automobiles…
On trouve aussi la cuisine ouverte sur le séjour, des espaces de détente comme les terrasses et des bancs pour converser ou lire qui sont finalement peu utilisés par les ouvriers.
Ceux-ci ne disposent pas à l’époque du temps nécessaire, ni du besoin d’épanouissement intellectuel, que Le Corbusier imagine pour eux.
L’approche un peu urbaine de le Corbusier, qui conçoit une vie idéale à l’intérieur des maisons, ne correspond finalement pas tout à fait aux aspirations ou aux besoins d’une classe ouvrière vivant à la campagne.
Une architecture génétiquement modifiable
Les façades libres avec leurs fenêtres en bandeau, l’absence de murs porteurs à l’intérieur et les toit plats rendent l’architecture de Le Corbusier facilement transformable, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Des maisons transformées
Les procédés de construction de Le Corbusier ont rendu les maisons de la Cité Frugès difficiles à conserver en bon état. Les habitants rencontreront des problèmes d’isolation liés aux aléas climatiques comme ceux évoqués dans mon précédent reportage sur l’intérieur de la villa Savoye à Poissy.
Que ce soit pour les aménagements intérieurs ou les les façades, les habitants bricoleurs ne se sont pas privés de modifier depuis un siècle la plupart des maisons du lotissement en ajoutant des toits pour protéger les murs et les huisseries, en modifiant la taille des fenêtres ou encore en reconfigurant les espaces intérieurs et en aménageant les garages et les espaces de services.
J’ai veillé dans la première partie de ce reportage à vous présenter les maisons classées, ou les mieux restaurées et qui sont les plus fidèles aux versions originales.
Dans la maison vide
Si la Cité Frugès, dans son ensemble, s’est vue classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 2016, il reste quelques maisons à l’abandon dans le lotissement et beaucoup d’autres qui sont très loin de leur état d’origine.
La restauration d’une maison s’avère couteuse et assez compliquée puisqu’il faut la considérer désormais comme une œuvre d’art.
Toit, toit mon toit
Certaines maisons de la Cité Frugès se sont vues rajouter, comme ici, des toits à un ou deux pans et les fenêtres en bandeaux ont été remplacées parfois par des fenêtres traditionnelles avec des volets… transformant des constructions avant-gardistes en de banales habitations.
Chacun fait ce qui lui plait…
L’une des maisons Quinconce dont la façade à été complétement transformée par son propriétaire, créant une sorte d’anticipation d’un futur fantôme du jeu vidéo Pac-Man…
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